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Jakub Mlynar
Monday 15 May 2023 08:00

Pourquoi un institut de recherche en informatique travaille avec un chercheur en sciences sociales ? Jakub Mlynar, docteur en sociologie et collaborateur à l’institut informatique de la HES-SO Valais-Wallis nous parle de ses projets et de ses recherches. Aujourd’hui, les machines, les algorithmes et l’intelligence artificielle font partie intégrante de nos existences : smartphones et ordinateurs accompagnent notre vie professionnelle et privée, nos véhicules sont électriques et connectés tout autant que nos réfrigérateurs ou nos montres. Nos interactions avec ces nouveaux outils modifient notre comportement humain et c’est précisément le champ d’études de Jakub Mlynar qui s’intéresse aux interactions humains-machines au sein de l’HUCO - Human Centred Computing Group, laboratoire de recherche du Professeur Florian Evéquoz.

La conversation, un art simple et pourtant si difficile à apprendre

Jakub Mlynar, originaire de Prague, est heureux de pouvoir travailler en Suisse, notamment à la HES-SO Valais-Wallis car il peut collaborer avec des personnes de différentes disciplines. Il se réjouit de réfléchir à un langage commun entre différents domaines scientifiques afin de regarder avec de nouvelles perspectives le problème des interactions entre les technologies et les humains. Comment les gens utilisent la technologie ? Cette question a présidé aux études de Jakub Mlynar lorsqu’il était étudiant à l’Université Charles en République Tchèque. Il se concentre sur les technologies digitales et les interactions quotidiennes que nous avons avec elles. En effet, des choses qui nous semblent simples et naturelles, comme avoir une conversation avec une autre personne, est une activité qui demande beaucoup d’efforts, de pratique et qui n’est pas facile à apprendre ou à expliquer. Imaginez donc comme il est compliqué d’apprendre à une machine – un agent conversationnel – de quelle façon donner une impression de conversation naturelle ? Ce sont ces interactions humaines et quotidiennes qui ont l’air apparemment insignifiantes et sont pourtant très conséquentes qu’analyse le chercheur afin de pouvoir décrire et expliquer ce qui les constitue (langage, gestuelle et interactions non-verbales). Cela devrait permettre de mieux adapter les technologies digitales à nos comportements pour fluidifier les interactions humains-machines.

La technologie modifie notre perception de l’information et affecte nos comportements

Durant son Doctorat au Département de sociologie, Faculté des lettres de l’Université Charles, il a analysé des interviews relatives à l’histoire orale (accessibles au Malach Center for Visual History à l’institut de linguistique formelle et appliquée). Ainsi, il a constaté que la technologie pouvait modifier notre perception des histoires qui sont enregistrées dans le présent pour parler du passé à des personnes dans le futur. Le moyen de la vidéo pour capturer ces témoignages modifie non seulement la manière dont les protagonistes racontent leurs histoires mais aussi la manière dont les témoignages sont perçus par le public. Durant son postdoctorat, Jakub a ajouté une dimension à ses recherches en examinant comment ce type d’interviews filmées pouvaient bénéficier à l’apprentissage d’élèves ou d’étudiant-es en les diffusant dans des classes.

C’est en Suisse qu’il poursuit son travail avec Esther González-Martínez à l’Université de Fribourg, entre 2016 et 2018, grâce à une bourse d’excellence de la Confédération suisse. Il concentre ses recherches sur les interactions entre les gens présents dans une classe plutôt qu’entre la vidéo et les gens qui la regardent. Comment les étudiant-es travaillent ensemble à l’aide d’un ordinateur et quelles informations sont retenues durant l’apprentissage par la médiation de la vidéo ? Toutes ces questions mènent à l’amélioration des systèmes que nous utilisons tous les jours, tels que la visio-conférence. Il est important de savoir comment ces outils affectent nos interactions sociales et quelles sont les répercussions des technologies de l’information sur l’environnement et le comportement humain. Cela permettra, à l’avenir, non seulement d’utiliser des systèmes plus performants, mais aussi d’imaginer des garde-fous législatifs pour encadrer leur déploiement.

L’intelligence artificielle est plutôt une affaire d’acquisition de compétences que d’intelligence

Dès septembre 2021, Jakub Mlynar est engagé à la HES-SO Valais-Wallis et concentre son activité sur l’intelligence artificielle comme phénomène et objet social. Plutôt qu’à la technologie en elle-même, il s’intéresse aux changements qu’elle apporte dans les interactions des humains entre eux, entre l’outil et l’humain et comment elle est intégrée à la vie quotidienne ; pensons aux robots automatisés dans les usines, aux véhicules autonomes ou aux chatbots (agents conversationnels). Dans le cadre du Mobility Lab, il a travaillé sur le projet "Robi at Work” en partenariat avec PostAuto et Benjamin Nanchen de l’Institut Tourisme afin de savoir comment ce robot transporteur de bagages à Saas-Fee agissait sur le comportement humain. Il a découvert que les gens dans la rue, les utilisateur-trices du robot, les personnes qui ont enregistré les vidéos des interactions sur le terrain ainsi que le/la téléopérateur-trice en charge du robot semi-autonome ont toutes et tous participé à des degrés divers au déplacement et à la bonne marche de la machine pour assurer un fonctionnement adéquat. Il faut donc beaucoup de monde pour faire fonctionner correctement ce type d’outil dont l’autonomie est toute relative ! Le chercheur trouve indispensable d’apporter une vision sociologique et critique de la technologie car si elle est source de confort, elle peut également être à la base de la polarisation qui sépare les gens sur les réseaux sociaux, de déficit démocratique ou d’inégalités sociales pour celles et ceux qui n’y ont pas accès faute de moyens financiers. Avant d’inonder le marché de nouvelles technologies, il semble plus judicieux de se demander quels impacts elles auront sur les humains, leurs interactions et leur environnement. « Nous vivons dans une période où nous savons les ressources limitées ; il faut donc se demander si les technologies que nous imaginons répondent à un besoin. Si nous souhaitons agir de manière responsable, il n’est plus possible d’introduire de nouvelles technologies sur le marché sans nous demander quels en sont les coûts sociaux, humains et en termes de ressources », indique Jakub Mlynar.

La médecine personnalisée est possible si la transparence des technologies est de mise

Dans le domaine médical, les technologies de l’information telles que l’intelligence artificielle peuvent avantageusement compléter le travail du corps médical. En effet, QuantImage est une plateforme de recherche qui permet au personnel médical de facilement construire et évaluer des modèles d'IA dans un but de diagnostic, comme la différentiation entre un nodule cancéreux ou malin en se basant sur une image radiologique. Le corps médical participe activement à ce projet qui pourrait fournir des éléments décisifs aux soignant-es pour orienter le choix d’un traitement adéquat, mais reste évidemment prudent face à des outils à qui il pourrait déléguer des responsabilités importantes, notamment celles de la vie humaine. Jakub Mlynar souhaite comprendre comment utiliser le plus efficacement possible la plateforme de radiologie imaginée et développée par l’équipe d’Adrien Depeursinge, chercheur en eSanté à l’Institut Informatique. Pour le faire il a filmé une trentaine de soignant-es par groupe de deux en train d’utiliser la plateforme QuantImage pour analyser des images radiologiques. En analysant les interactions des étudiant-es avec le logiciel, le chercheur peut identifier des problèmes posés par l’utilisation de la plateforme et proposer des améliorations en matière de design et de fonctionnalités. Toutes ces recherches montrent notamment que, souvent, nous interagissons de manière sociale avec les outils digitaux et les machines comme si elles avaient une personnalité. Ces outils et ces machines sont parties prenantes de notre société et il faut donc réfléchir à leur utilité, à la confiance que nous leur accordons, à la transparence de leur fonctionnement ou au niveau de responsabilité que nous sommes prêts à leur déléguer. Geoffrey Hinton, surnommé le "parrain de l'IA", a d’ailleurs récemment quitté son poste chez Google pour dénoncer les risques liés à la technologie qu'il a contribué à développer. Toutefois, il faut aussi être conscient-e que l’intelligence artificielle n’est pas intelligente comme l’humain peut l’être grâce à ses capacités mentales et cognitives. L’intelligence artificielle permet de réaliser des tâches particulières proches des compétences pratiques. Elle devrait être enseignée et expliquée en ces termes afin d’éviter toute confusion avec l’intelligence humaine.