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Solalex
Friday 18 November 2022 08:40

Avec l'éventuelle pénurie d'énergie annoncée pour les mois et année à venir (cf. analyses du prof. S. Genoud), les préoccupations énergétiques des hôteliers suisses éclipsent aujourd’hui nettement celles liées au coronavirus. Il s'agit de loin de leur plus grand défi pour la saison d'hiver 2022/2023. C'est ce qui ressort d'une enquête récente d'HotellerieSuisse sur la pénurie d'énergie et les hausses de prix qui en découlent. Selon l'enquête, le secteur souffre fortement de la hausse des prix de l’électricité car une grande partie des établissements (environ 70%) sont de gros consommateurs.

Les hôtels de montagne construits avant les années 2000 ne répondent guère aux exigences actuelles en matière de gestion de l’énergie. La plupart des hôtels ont été conçus pour répondre à la demande de sports d’hiver et n’ont pas subi de réelles rénovations thermiques ni changements d’usage depuis leur construction. La plupart des hôteliers pensent assez souvent à la rénovation comme une amélioration esthétique à l’intérieur du bâtiment, qui peut lui conférer un caractère unique pour le plus grand plaisir des visiteurs. Ils intègrent malheureusement plus rarement des rénovations énergétiques. Mais une rénovation qui touche les aspects énergétiques peut aussi avoir un concept architectural et esthétique. Les établissements hôteliers des régions de montagne ont dès lors un potentiel de rénovation important.

Le point de vue des hôteliers
Les objectifs du travail de bachelor de Félicie Boillat, réalisé entre novembre 2021 et juin 2022 dans la filière d’étude tourisme de la HES-SO Valais-Wallis, étaient de comprendre la perception des hôteliers de montagne (à Zinal et Crans-Montana) sur la rénovation énergétique, d’identifier les avantages et les obstacles perçus afin de saisir pourquoi leurs bâtiments ne sont pas rénovés énergétiquement. Pour ce travail de recherche, une analyse documentaire a été réalisée, ainsi que 11 entretiens avec des acteurs du secteur (6 hôteliers de Zinal, 3 de Crans-Montana, un représentant d'hotelleriesuisse et de la Société Suisse de Crédit Hôtelier).

Les entretiens réalisés ont permis de relever des points intéressants pour répondre à la question de recherche. Premièrement, la grande majorité des personnes interrogées ont conscience du réchauffement climatique et de l’urgence de la rénovation énergétique des bâtiments. Ils ont également une image plutôt positive de la rénovation énergétique et ils l’associent à une baisse de consommation et donc de charges et ainsi qu’aux énergies renouvelables
Ensuite, l’un des points clés est le fait que les hôteliers interrogés ont le sentiment que les clients des hébergements touristiques n’ont d’intérêt que pour l’architecture intérieure et le confort du bâtiment et ne s’intéressent absolument pas à la partie énergétique. Selon plusieurs participants, les clients choisissent un établissement d'après son prix, son emplacement et son confort. De plus, la plupart des hébergements rénovés ayant participé à l’étude ont d’abord souhaité rénover leurs bâtiments pour augmenter l’attractivité du lieu, notamment en modernisant ou en augmentant le standing. Comme des travaux étaient prévus, ils ont profité de l’occasion pour rénover énergétiquement le bâtiment.

[Alexandra Saranti, architecte et experte en certificat énergétique des bâtiments CECB]
«Le standing sera probablement plus élevé après une rénovation énergétique, car le confort sera amélioré (température dans les chambres, absence d'humidité, meilleure ventilation, absence de courants d'air, etc.).  Une rénovation devrait également être combinée à une amélioration de l'isolation acoustique ou à une mise en conformité avec les normes SIA (protection contre l'incendie, accès pour les personnes handicapées, recherche et élimination de l'amiante, etc.). La rénovation doit être conçue de manière globale. Cela signifie qu'on ne peut pas séparer l'attrait d'un lieu de sa fonction et de son coût énergétique. En cette période, on ne peut pas se permettre (financièrement, difficultés d'approvisionnement, manque d'entrepreneurs, difficultés à établir des devis pour les mois à venir, etc.) d'entreprendre une rénovation sans penser à l'impact écologique et à la globalisation des travaux.»

Oui mais... tant de freins...
Peu d’avantages à la rénovation énergétique ont été énumérés par les participants (cf. tableau en fin d’article ci-dessous), mais une longue liste d’inconvénients et de freins a été évoquée. Le seul avantage vraiment intéressant pour les hôteliers est celui des économies financières qui peuvent être réalisés, car le bâtiment utilisera moins d’énergie et la facture sera donc réduite. Cependant, cet avantage est seulement perceptible sur le moyen à long terme, une fois que l’investissement de base rentabilisé.

L’investissement financier a été cité autant comme un inconvénient qu’un frein à la rénovation. En effet, le coût d’une rénovation énergétique peut être important et peut décourager ou même empêcher certains hôteliers de la réaliser. Les propriétaires ne se sentent pas assez soutenus sur ce point-là et les petits hébergements familiaux se retrouvent désavantagés par rapport aux hébergements faisant partie de groupes hôteliers.

[Alexandra Saranti, architecte et experte en certificat énergétique des bâtiments CECB]
«La question qui se pose souvent est : pourquoi investir ? Parce qu'on ne peut pas faire autrement. Il faut rénover pour pouvoir se maintenir sur le marché hôtelier. Et il faut rénover de manière "intelligente". C'est pourquoi il faut envisager la rénovation de manière globale. On ne rénove pas seulement pour maintenant. On rénove pour les 20-30-40 prochaines années. Il faut envisager la possibilité de combiner la rénovation avec une amélioration potentielle de l'exploitation, un agrandissement, etc. Avec une rénovation énergétique, la valeur du bâtiment peut augmenter de 30 à 40%.» 

Outre l’investissement financier, d’autres freins ont été évoqués durant les entretiens, notamment le manque de solutions de substitution pour le chauffage. La grande majorité des propriétaires sont motivés à changer de chauffage pour améliorer leurs bâtiments mais les solutions actuelles ne leur plaisent pas et créent donc un nouvel obstacle. «Les pompes à chaleur air-air et air-eau ne fonctionnent pas en montagne, la géothermie est trop coûteuse, les pellets sont fabriqués à partir de bois qui provient parfois de pays lointains, le chauffage à distance est trop coûteux», voilà certains arguments avancés. De ce fait, la plupart des hébergements ayant effectué une rénovation énergétique se sont concentrés sur la rénovation de l’enveloppe uniquement, laissant de côté le système de production de chaleur.

Un autre inconvénient plutôt controversé est celui des travaux. Une partie des personnes interrogées pensent que les travaux sont un des points noirs de la rénovation énergétique car ils conduisent souvent à une fermeture temporaire de l’établissement et donc à une perte de chiffres d’affaires. Cet argument a été contredit par certains hôteliers. Pour eux, la réalisation n'est pas un obstacle si elle est bien planifiée : grands travaux hors saison, poursuite de la fonction de l'hôtel avec des espaces alternatifs, réaménagement temporaire des espaces, etc.

Concernant les subventions et aides, le sentiment général est que toute aide proposée est bonne à prendre. Cependant, il a été affirmé dans de nombreux entretiens que la charge administrative à exécuter afin d’obtenir des aides est très lourde, et parfois disproportionnée par rapport aux aides obtenues. Certains hôteliers ont rapporté que les subventions accordées étaient souvent minimes et ne couvraient qu’un très faible pourcentage du coût des travaux. Plusieurs hôteliers ont affirmé que si plus de subventions et aides étaient disponibles, ils seraient prêts à rénover énergétiquement leurs bâtiments plus rapidement que prévu.

Des propositions
De nombreuses idées d’amélioration ont également été proposées par les hôteliers :

  • que les communes, les cantons ou la Confédération mettent en place des outils d’aide tel que des prêts facilités ou non remboursables ou à taux zéro, ou encore proposent un cautionnement
  • que les communes encouragent les hôteliers à faire un bilan énergétique (p.ex. le CECB+) pour identifier les options de la rénovation et les variantes
  • faire avancer plus rapidement les procédures de demandes d’aides et les simplifier
  • harmoniser les subventions au niveau fédéral
  • mettre en place un bureau de conseil pour les rénovations énergétiques des hébergements touristiques
  • faire payer des compensations carbones
  • mettre la pression sur les producteurs et installateurs afin qu’ils baissent leurs prix
  • utiliser les subventions existantes pour la production de chaleur pour créer un fond de financement des infrastructures
  • encourager les productions centralisées
  • montrer les potentiels d’une rénovation énergétique comme un outil de marketing

Pour aller plus loin dans la thématique des mesures d'économie d'énergie
Hotelleriesuisse a mis à disposition des check-lists et fiches d'information pour économiser de l’énergie dans l’hôtellerie.
Grâce au Programme Bâtiments, les hôtels peuvent bénéficier de subventions pour mettre en place des mesures de construction efficaces sur le plan énergétique.  Afin de faire la demande il faut faire un bilan énergétique CECB+.
Francs énergie : tous les programmes de la Confédération, des cantons, des villes et des communes peuvent être consultés dans cette base de données.
En participant à l’Agence de l'énergie pour l'économie (AEnEC), les hôtels peuvent diminuer les factures d’énergie grâce à des mesures d’amélioration rentables.
Le contrat de performance énergétique est particulièrement bien adapté à l’hôtellerie.

Le concept de rénovation est large et peut inclure des améliorations architecturales, esthétiques, énergétiques, fonctionnelles et autres. Il peut également comprendre des stratégies de recyclage et de réutilisation des matières premières, des éléments structurels, des emballages, voire des lieux, afin de réduire les coûts de transport écologiques (et économiques). Pour identifier le potentiel, l'hôtelier peut s'adresser à des architectes.
Il existe également ce que l'on appelle les interventions passives dans un bâtiment.  Il s'agit notamment d'interventions architecturales susceptibles de conserver la chaleur en hiver et la fraîcheur en été et d'améliorer la performance bioclimatique du bâtiment, comme la création de nouvelles ou la suppression d'anciennes ouvertures. En outre, des extensions spatiales peuvent être réalisées à l'extérieur ou à l'intérieur du bâtiment, par exemple des cours intérieures, des cheminées solaires, des serres solaires, etc.

Exemples réussis de rénovation et gestion énergétique dans l'hôtellerie
En Suisse : article sur Etic hotels Journal
Une cabane en Valais qui montre les possibilités de gestion énergétique en altitude : Cabane Loetschenpass
Un exemple urbain à Paris : hôtel San Regis

Copyright photo d'illustration : Suisse Tourisme