DOSSIER - « Au début, mes collègues ne discutaient que de ça. Tout le temps. On a dû se mettre d’accord pour n’en parler qu’une fois par jour maximum ». Cette anecdote, partagée par Silvan Zahno, responsable du Smart Process Lab de la HEI, est éloquente. Lorsque ChatGPT est soudainement apparu dans nos vies informatisées à la fin de l’année dernière, beaucoup parmi nous y ont vu un outil fabuleusement puissant et adaptable à (presque) tous les domaines. Évidemment, l’enseignement et la recherche en font partie.
Depuis le début 2023, tout s’est accéléré. En 5 jours, 1 million d’utilisateurs et d’utilisatrices du monde entier se sont inscrit·es sur la plateforme d’intelligence artificielle. En deux mois, ils et elles étaient 100 millions. « L’IA a le potentiel de transformer notre société autant que l’arrivée d’internet au début des années 2000 » affirme Mara Graziani, professeure à l’institut Informatique (II), qui rajoute que, autour d’elle « les professeur·es sont un peu perdu·es et ne savent pas vraiment comment réagir ».
L’outil ChatGPT est très puissant. Face à une telle efficacité, un réflexe très humain émerge aussitôt et nombreux ont été les utilisateur∙trices qui se sont amusé∙es à tester les limites de l’outil, notamment au sein de la HES-SO Valais-Wallis. Sans surprise, ces dernières sont nombreuses : informations imprécises ou carrément inventées, manipulations de l’outil, sources et références impossibles à obtenir, biais générés par la provenance des données, etc. L’outil souffre apparemment encore d’erreurs de jeunesse, mais ces dernières pourraient tendre à disparaître, notamment avec l’arrivée massive de nouveaux concurrents et d’autres outils grand public comme des générateurs de photos, de visuels divers, de vidéos. De plus, Microsoft va prochainement proposer une nouvelle version de sa Suite Office fortifiée d’une intelligence artificielle.
Chaque annonce de bouleversement génère un sillon de craintes, de discussions nécessaires et de demandes de clarifications, de règles et de limites, sans même parler de l’impact environnemental et énergétique de cette nouvelle technologie. Comme beaucoup d’autres institutions, la HES-SO Valais-Wallis est touchée de plein fouet par cette avancée technologique aussi troublante que galvanisante ! Il y a bien sûr l’effet ChatGPT et son impact sur l’enseignement, mais aussi l’IA dans la recherche appliquée.
RECHERCHE : Les projets se multiplient
Dans la recherche, parler d’IA n’est pas nouveau. Silvan Zahno tient à rappeler qu’il existe des applications très diverses à l’IA et « il y a du machine learning caché un peu partout ». D’ailleurs, de nombreux projets en lien avec de l’IA sont menés par les différents instituts de nos Hautes Ecoles et touchent des domaines aussi variés que la médecine, la mobilité, le tourisme, l’environnement ou les médias.
Un Tetris et des camions
Certains projets sont très concrets. « Nous travaillons actuellement avec Constellium sur un projet d’optimisation de charges de camion. Il y a beaucoup de contraintes, comme la stabilité, le centre de gravité, la charge sur les axes, le type de chargement et quel élément doit être livré en premier. C’est un Tetris particulièrement complexe qu’une IA peut résoudre très rapidement. Le chargement est optimal. L’IA augmente la sécurité du camion et l’efficacité de la charge ».
Face à ce constat, se pose évidemment la question des emplois. Silvan Zahno est confiant. « A mon avis, l’IA va nous aider. Une personne avec les bonnes connaissances pourra être encore plus efficace. Et je ne pense pas que des savoirs ou des savoir-faire vont se perdre. »
Les Medtech
Dans les milieux médicaux, l’IA peut également apporter une aide considérable. Le projet RADHED porte par exemple sur l'utilisation d'une plateforme basée sur l'IA pour l'analyse de données d'imagerie médicale et la formation en radiologie et oncologie. Le Challenge HECKTOR, lui, a pour but de comparer et identifier les meilleurs algorithmes selon les mêmes règles et sur le même jeu de données médicales, en open science et open data.
Il est intéressant de noter que le développement d’algorithmes destinés à des domaines spécifiques – en l’occurrence médicaux – peut alimenter d’autres projets de recherche. C’est notamment le cas du projet Fishlab qui a pour but de contribuer au développement et à la protection de la faune piscicole dans des environnements utilisés notamment pour la production d’électricité. La puissance des données (Big Data) permet un monitorage non invasif, précis et en temps réel de la faune en se basant sur des algorithmes de Machine Learning. Etonnamment, ce projet repose sur des outils créés par l’équipe d’Henning Müller, professeur HES et responsable du laboratoire eSanté au sein de l’institut Informatique.
Mobilité et tourisme
Ce n’est pas tout. Plusieurs autres recherches sont menées à la HES-SO Valais-Wallis, notamment dans les interactions humains-machines, car nombreux sont les projets dans lesquels l’IA doit prendre en compte le comportement humain pour bien fonctionner. L’humain s’adapte et l’IA doit en tenir compte. Le sociologue Jakub Mlynar de l’institut Informatique (II) est notamment impliqué dans le projet "Robi at work" lié à l'interaction et au travail autour d'un véhicule automatique de transport de bagages testé à Saas Fee. « Il est important pour nous d’observer les utilisateurs·trices, afin de comprendre comment et pourquoi ils et elles ajustent, ou non, leur comportement. Dans ce projet, l’IA doit notamment pouvoir intégrer des comportements qui évoluent. »
Qualité de l’information
Les domaines d’applications sont pléthores. Mara Graziani a longtemps étudié l’IA pour des domaines scientifiques (médical, chimie), mais elle a plus récemment rajouté une autre corde à son arc : les médias. Le large projet européen AI4media auquel elle participe ambitionne de développer une IA au service d’une information sure et éthique dans tous les domaines des médias, comme le journalisme, les réseaux sociaux, le divertissement ou encore l’art. « L’information est un enjeu crucial dans un système démocratique équilibré et l’identification des fake news participe à amoindrir les positions polarisantes »
L'ENSEIGNEMENT ET LA CONFIANCE
Dans l’enseignement aussi, les possibilités d’utilisation fusent, aussi bien du côté des professeur∙es que des étudiant∙es. Et immanquablement, les craintes émergent. « Cet outil peut vraiment aider les gens, mais il y a des risques, c’est évident » note Silvan Zahno. Dans l’enseignement, les principales craintes concernent les méthodes d’évaluations et la tricherie. Pour Mara Graziani, il s’agit d’un faux problème. « Si un tel outil existe et que des étudiant·es l’utilisent, ça signifie surtout qu’ils·elles sont à jour avec le monde d’aujourd’hui, modernes et malin·es » estime-t-elle. Les professeur∙es devraient-ils donc intégrer ChatGPT – et plus généralement les nouveaux outils de l’IA – dans leurs cours ? « Oui, ils·elles devraient apprendre à utiliser ces nouveaux outils. Les générations futures utiliseront l’IA comme nous utilisons une calculatrice » ajoute-t-elle. Un point de vue partagé par Silvan Zahno et Jakub Mlynar.
A la HES-SO Valais-Wallis, les premières expériences pédagogiques en lien avec l’IA voient le jour. C’est notamment le cas à la HESTS et en Informatique de gestion à la HEG. Un projet expérimental y explore le potentiel des chats et avatars intelligents dans l’enseignement. « L’objectif principal est de diversifier les formes d’enseignement dans un cours à l’aide de deux outils, ChatGPT et Synthesia. Concrètement nous répondrons à la question : est-ce que ces avatars peuvent (partiellement ou intégralement) remplacer les professeur·es pour les cours ? » explique Nicolas Debons, responsable de la filière Informatique de gestion de la HEG.
De son côté, la HES-SO a rapidement mis en place une Task Force AI Education qui propose un soutien aux professeur·es pour adapter leur enseignement à ChatGPT et à l'intelligence artificielle en général. Sur la page de présentation de la Task Force, il est mentionné que « de manière générale, nous encourageons nos enseignant·es à intégrer la question de l’IA dans leur enseignement, en particulier si la pratique professionnelle future de nos diplômé·es en sera impactée. » Du matériel est à disposition en ligne pour aider le corps professoral à préparer ses cours en tenant compte des nouvelles pratiques et chacun peut y apporter ses propres contributions.
Pour approfondir la thématique, découvrez l’interview de René Schumann.
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Comment la Direction de la HES-SO Valais-Wallis se positionne-t-elle face à l’arrivée rapide de l’intelligence artificielle dans la formation et la recherche ?
Faire évoluer les enseignements et les méthodes pédagogiques est une préoccupation constante de la HES-SO Valais-Wallis. La mise en œuvre du programme Team Academy en est un parfait exemple. Chaque professeur·e porte la responsabilité de faire évoluer son enseignement en fonction des outils qu’il ou elle juge pertinent, ou non, d’intégrer dans ses cours.
Avez-vous un message à transmettre aux professeur∙es ?
Oui, un seul, et qui s’adresse également en partie aux étudiant·es : gardez une distance critique, faites vos propres expériences et adaptez votre enseignement en fonction. Il y a beaucoup d’outils qui sont mis en place pour vous accompagner dans l’évolution de votre travail. Et si de bonnes pratiques émergent, discutez-en entre collègues. Je pense notamment que les conseillers et conseillères pédagogiques de proximité (CPP) sont un réel soutien pour avancer sur ces questions-là.
L’IA va-t-elle être intégrée dans les processus de fonctionnement de l’institution, par exemple dans les services centraux ?
Comme pour l’enseignement, nous nous interrogeons sur une éventuelle utilisation de l’IA dans nos pratiques administratives. Aujourd’hui, il y a un véritable enjeu afin de savoir comment utiliser ces outils au mieux. Par exemple, dans les RH ou la finance, un certain nombre de tâches répétitives existent et peut-être pourraient-elles être gérées partiellement par une IA.