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Adrien Depeursinge et Vincent Andrearzyck
Tuesday 09 April 2024 08:00

L’informatique de gestion ne se résume pas à écrire des algorithmes d’intelligence artificielle, mais se concentre aussi sur la gestion des projets et forme des informaticien-nes capables de coopérer avec des partenaires externes non spécialisés dans le domaine et de coordonner des projets de grande envergure. Ainsi, l’équipe du Professeur Adrien Depeursinge, actif au sein du pôle eSanté de l’institut informatique, a collaboré au sein du consortium international IBSI qui vise à standardiser la terminologie et les logiciels utilisés dans le domaine de l’intelligence artificielle pour la radiologie. La publication de la première partie de l’étude a été citée plus de 2500 fois et est devenue une référence internationale pour les chercheur-euses en informatique, les entreprises développant des logiciels de reconnaissance d’images et le personnel médical en radiologie.

La radiomique, l’intelligence artificielle et la médecine de précision

La radiomique consiste à extraire des caractéristiques statistiques d’une zone du corps, généralement une tumeur, représentée sur une image médicale (p. ex., scanner, IRM). Il est possible d’y appliquer des filtres, comme sur les applications photo que nous utilisons tous les jours, afin d’améliorer la lisibilité de l’image. Le but de la radiomique est d’obtenir des caractéristiques objectives robustes afin d’optimiser la prédiction des résultats obtenus. Ces caractéristiques sont appelées biomarqueurs d’images et sont utilisées, entre autres, pour prédire le type de tumeur ou la réponse de celle-ci à un traitement. Ces outils d’aide à la décision pour le corps médical utilisent l’intelligence artificielle et sont d’une importance toute particulière dans le domaine de la médecine personnalisée et de précision. Toutefois, il existe de nombreuses solutions informatiques disponibles et chaque centre hospitalier choisit celle qui convient le mieux à son infrastructure ou à son personnel. De plus, les fournisseurs privés de logiciels n'ont pas pour habitude de collaborer avec leurs concurrents. Ainsi, il n’existait pas jusqu’ici de standardisation de la terminologie et des logiciels utilisés pour le développement des modèles d'IA. Il était donc impossible de certifier que les données d'un-e patient-e ayant réalisé un examen (par exemple une IRM) à Sion puissent être analysées par une IA développée à Lausanne ou aux États-Unis. Afin de permettre à chacun-e de bénéficier des meilleures prestations médicales possibles, les chercheur-euses de l’institut informatique ont coordonné, pendant trois ans, un consortium réunissant des fournisseurs de logiciels médicaux, des hôpitaux et des équipes de recherche du monde entier.

IBSI, un consortium international qui révolutionne la médecine de précision

Les approches axées sur les données comme la radiomique et l’intelligence artificielle recèlent un grand potentiel dans le domaine médical. Cependant, la complexité de la terminologie et de l’implémentation des algorithmes soulève des problématiques liées à la collaboration interdisciplinaire. La première phase de l’étude IBSI consistait à fournir des normes pour les caractéristiques radiomiques couramment utilisées par les IA et les médecins. Le papier scientifique de cette première phase de recherche a connu un immense succès avec plus de 2500 citations partout dans le monde et est devenu une véritable référence pour tous les acteurs du domaine, que ce soient les entreprises privées ou les instituts de recherche. Il a permis de créer des valeurs de référence pour 169 caractéristiques couramment utilisées, a proposé un schéma standard de traitement des images radiomiques et a élaboré des lignes directrices pour l'établissement de rapports sur les études radiomiques. Une fois ces valeurs définies, la deuxième phase de l’étude a travaillé à l’implémentation de celles-ci dans les logiciels de fournisseurs privés. C’est à un véritable travail d’évaluation et de comparaison des produits que se sont attelés les chercheur-euses. En mettant tous les acteurs autour d’une table, l’équipe du Professeur Adrien Depeursinge a réussi le tour de force d’amener les partenaires privés à s’accorder sur les définitions des biomarqueurs et à les implémenter dans leur outil. Il a fallu passer par de nombreuses étapes : écrire la définition des biomarqueurs, inviter les partenaires privés à implémenter ces définitions, réfléchir à la manière d’évaluer et de comparer les solutions logicielles puis développer une plateforme web afin que chaque fournisseur de logiciel puisse tester sa solution de manière autonome. Cette étude a eu un énorme impact en matière de médecine personnalisée puisqu’il est dorénavant possible d’accéder à des données standardisées d’un bout à l’autre du globe. C’est une importante révolution pour le développement de logiciels médicaux et pour l’aide aux patient-es.

L’industrie médicale convaincue

Leader de la deuxième partie de l’étude, l’institut informatique de la HES-SO Valais-Wallis peut se targuer d’avoir eu un impact considérable sur l’industrie médicale qui fournit des logiciels aux hôpitaux. C’est grâce à l’excellente gestion de ce consortium mondial que les professionnels de la santé et les entreprises créatrices de logiciels se sont rencontrés. Tous les trois mois, une réunion publique était organisée pour expliquer la démarche et discuter avec les parties prenantes. Un retour d’informations à chaque nouvelle séance permettait d’avancer ensemble vers un objectif commun. Grâce à cela, il est aujourd’hui possible de comparer les biomarqueurs d’images d’un hôpital à l’autre. Cette façon de caractériser le contenu d’images ne concerne pas uniquement les cancers, mais toutes les maladies telles que les maladies neurologiques (sclérose en plaques, Parkinson, Alzheimer, maladies cardiaques et pulmonaires, par exemple). Ce travail fournit des valeurs quantitatives, reproductibles et surtout objectives qui enthousiasment le monde médical. En effet, cela permet aux professionnel-les de la santé d’être conforté-es ou aidé-es dans une décision et de gagner en efficacité. Rendre des modèles robustes augmente la confiance des utilisateur-trices tout en diminuant les variations d’un logiciel à l’autre. Confronter les opinions de la recherche, de l’industrie privée et des centres hospitaliers n’a pas été simple ; ce défi immense a pourtant été relevé brillamment grâce à la volonté d’aboutir à des résultats concrets pour les patient-es. Outre l’intelligence artificielle, ce sont donc les relations et la manière d’orienter le travail vers des solutions qui ont été déterminants dans ce projet. Les résultats sont d’ailleurs parlants au vu de l’impact international du projet qui a su convaincre les acteurs principaux de l’ingénierie logicielle d’y participer. Ce processus participatif a été salué par le célèbre Journal of Radiology qui lui consacre son éditorial en expliquant l’importance de ce projet pour les médecins. Alex Zwanenburg du Centre National des maladies tumorales de Dresde (Allemagne), Martin Vallières de l’Université de Sherbrooke au Canada et Philipp Whybra de l’Université de Cardiff en Angleterre sont les principaux partenaires de recherche et ont travaillé avec Adrien Depeursinge, Professeur, Vincent Andrearczyk, Adjoint scientifique, Henning Müller, Professeur, et Roger Schaer, ancien collaborateur scientifique de l’institut informatique à Sierre.

Transférer ses connaissances vers la filière informatique de gestion

L’intelligence artificielle dans le domaine médical est arrivée à maturité et la phase de standardisation est en cours. Il s’agit de partager les bonnes pratiques, de faire des choix communs dans les définitions, de créer des lignes directrices en confrontant les opinions et les savoir-faire. L’importance de la compatibilité et de la reproductibilité des procédures est cruciale pour l’ensemble des acteurs, des médecins aux fournisseurs de solutions, des chercheur-euses aux patient-es. L’étude IBSI a permis de progresser de manière significative et de modifier jusqu’à la manière de concevoir un logiciel ou de travailler sur un projet de recherche. Un langage commun a été trouvé et il est possible aujourd’hui d’ouvrir le dialogue avec les parties prenantes sur les outils disponibles afin de les rendre plus robustes, sûrs, stables et efficaces. Toutes ces questions nourrissent également la formation bachelor en informatique de gestion de la HES-SO Valais-Wallis puisque le Professeur Adrien Depeursinge y enseigne. Il indique avoir beaucoup appris de la méthodologie de gestion d’un consortium international, de la manière de communiquer efficacement ou de partager l’information avec les parties prenantes. Il lui a fallu gérer toutes les phases du projet, des discussions préliminaires jusqu’à la création d’une plateforme web. Mettre ensemble des métiers qui ne communiquent pas a été son plus grand défi. Il n’oubliera pas d’intégrer au module de bachelor implémentation de services, toutes les connaissances et les compétences acquises durant ce projet.